Préface d’une biographie qui devait être écrite par mon amie Isabelle, mais...
PREFACE
Je ne vous connais pas… Pas encore. J’ai entendu parler de vous… Tellement… Rassurez-vous, elle n’a jamais enfreint la déontologie.
Vous étiez sa première biographie. La commande dont elle rêvait. Elle était ravie de votre rencontre : tant de points communs semblait-il.
Elle jubilait littéralement. Passionnée par son métier d’écrivain public, par les hommes, la vie tout simplement. Cette même vie qui s’est
arrêtée de battre dans son cœur, un 10 juin 2005. La Bérézina pour tous : famille, amis, collègues ... Fin juillet, toujours le chaos dans
les cœurs. Cependant il faut continuer. Elle n’aurait pas aimé qu’on se laissât « envahir » par le chagrin. Je pensais souvent à vous et à
ce travail interrompu brutalement par le décès d’Isabelle. Votre biographie inachevée, à peine commencée… Des cassettes, quelques pages, les
premières ébauches de son écriture, ses brouillons. Elle est le lien entre vous et moi et le restera... A tout jamais. Je tenterai de marcher
dans ses empreintes : elle en a laissé quelques unes. Je n’ai pas peur, je suis juste émue. Elle, notre fil d’Ariane me guidera. Elle avait
entamé l’écriture de votre vie. Elle était si heureuse. Je ne sais toujours pas si je dois prendre la relève.
Elle était brune, avait des origines espagnoles et comme vous était une « montagnarde ». Moi, je suis née en Belgique, dans le plat pays de
Monsieur Brel… Puis la Provence a fait de moi sa fille adoptive. Tout ceci pour vous expliquer que je ne suis pas encore vraiment « dedans ».
Nos styles sont différents. Je l’appelais « Madame Proust », c’est vous dire les phrases longues et les constructions ! Elle était très
technique… Ecriture « réfléchie ». Je suis son contraire… Les contraires s’attirent, sont complémentaires. Je suis dans l’écriture spontanée,
les phrases courtes. Elle contrôle, maîtrise… Je jette les mots sur le papier dès qu’ils se forment dans ma tête. J’aime leur instantanéité,
ils n’ont pas été déshabillés de leur émotion. C’est ainsi que nous grandissions sur le chemin de l’écriture, osant marcher dans les pas de
l’autre. Nous apprenions l’une de l’autre, sans cesse, toujours… Elle et moi étions devenues amies, de plume, de cœur tout simplement.
Finalement, j’écrirai votre biographie Leonor, pour vous, pour elle pour moi. Je ne saurais vous donner les raisons, je sais juste que je dois le faire.
Je ne vous connais pas encore très bien. Nous avons parlé au téléphone. J’ai du mal à imaginer votre visage, sûrement ne suis-je pas encore
assez dans l’empathie. Vous me parlez de votre maison située entre deux grands champs de tournesols, de votre potager, de vos enfants dont
une porte le même prénom que moi : Hélène. Coïncidence ? Hasard ? Signe ? De votre demeure vous voyez au loin les montagnes du département
voisin : le Tarn. Au fur et à mesure que je vous écoute, je pénètre doucement dans votre vie, vous m’accueillez à bras ouverts, moi l’étrangère…
C’est peut être le phénomène qui me touche le plus dans mon métier. Cette confiance que les gens vous accordent. Je vous écoute encore et toujours…
Je ne peux m’empêcher d’imaginer Isabelle près de vous, recueillant vos propos sur son petit magnétophone. Elle est en pleine interview. Pour le
moment je suis toujours spectatrice. Je deviens cependant actant en écrivant ces mots, cette préface que j’ai voulue rédiger avant de découvrir
tous les documents échoués sur mon bureau. Car incontestablement, il y a eu là-bas, dans les Pyrénées, ce 10 juin 2005, un naufrage. Il me faudra
sûrement quelques jours pour pouvoir écouter les cassettes… La voix d’Isabelle… La vôtre. La charge émotionnelle sera forte, je le sais d’avance.
Au fur et à mesure que j’avancerai dans tes pages mon amie Isabelle, je t’imaginerai face à moi, je crois même que tu seras présente. C’est aussi
cela, la force de l’écrit : la sincérité anime la présence. Cette dernière phrase t’appartient, elle est la synthèse de nos réflexions communes.
Cette biographie, je l’écrirai dans cet esprit.
Naissance d’une oeuvre à trois voix dont la mélodie et les harmonies portent ton prénom : Isabelle.
Hélène Grosso
Le 10 août 2005
Chronique : DE L’AUTRE COTE DU MIROIR
extrait
Qu’est-ce qu’il dit le Monsieur ? Je ne comprends pas bien. Pourquoi il me dit cette phrase sans queue ni tête ? Il doit être bien fatigué.
Les docteurs de nos jours sont « surbookés » comme on dit maintenant. Faut te reposer Docteur tu sais. Tu ne peux pas prendre comme ça les gens
dans un coin plus ou moins isolé pour leur annoncer qu’un proche a un cancer et que c’est grave, qu’il faut tout de suite s’en occuper. Pourquoi
tu me regardes comme ça ? Oui ? Je sais, je ne te réponds pas, je fais mon monologue intérieur. Tu sais, j’ai appris à nommer cet outil à la
faculté de Toulon, récemment. Bref, je m’égare. Tu m’observes, tu attends bien sagement que je reprenne mes esprits. Tu as compris que j’étais en
état de choc, bien sûr, tu es docteur, où avais-je la tête ? Ma tête, parlons-en, elle va éclater. J’étais juste venue accompagner mon père à une
radio du thorax, cela devait prendre quelques minutes, je ne devais même pas te voir. Alors, quand tu as dit vouloir me voir toute seule, j’ai
commencé à me sentir pas bien. Alerte, danger. Et me voilà plantée devant toi, ne sachant que dire, ni faire. Oui, je t’entends, mais laisse-moi
digérer les informations. Ah, les mots et leurs pouvoirs ! L’anesthésie est passée. Tu vois, je te réponds, je te pose même des questions mais
maintenant que tu as lancé ton pavé dans la mare, tu ne veux plus répondre à toutes mes interrogations. Tu dis qu’il faut que je prenne rendez-vous
très vite avec le médecin de famille, qu’il m’expliquera mieux. Tu vas me préparer le compte rendu pour demain matin, pas avant midi. Il faut bien
que je comprenne que tu as énormément de travail. Je ne te trouve plus aussi sympathique qu’au début. Tu m’abandonnes là au milieu de ce couloir,
je te serre la main, je suis bien élevée et un peu perdue aussi. Récupérer mon père dans la salle d’attente. Il doit se demander ce qui se passe.
Pourquoi ce docteur veut voir sa fille et pas lui. Moi, à sa place, c’est sûr que je me poserai la question. Mettre très vite un plan en place et
ne pas craquer. Je commence par me convaincre, juste ce qu’il faut, que le toubib s’est peut être trompé. Je ne suis pas dupe au fond, je sais
qu’il a raison mais je dois jouer un rôle et protéger les miens. Commencer par le début. Ramener mon père à la maison et rassurer. Comment affronter
le regard de ma mère ? Elle est très perspicace. Lui mentir me répugne. Contourner l’obstacle. Attendre ce fichu compte rendu et ensuite… ensuite,
je ne sais pas, une chose après l’autre. A compter d’aujourd’hui, je vis au jour le jour avec la ferme intention de ne pas passer à côté de mon père
comme je suis passée à côté de mon amie Marie. J’avais refusé l’inévitable et quand la mort l’a emportée, je n’ai eu aucun recours. Il y a des chagrins
que personne ne peut consoler. Ils se transforment en remords, en regrets. Je ne ferai pas la même erreur.
Hélène Grosso